Par Stéphane Labarthe le jeudi 21 décembre 2017, 20:53 - Projets
En cette fin d'année, je souhaitais vous plonger un peu dans
l'univers de la Sierra Nevada de Santa Marta et de ces "petites actions" qui
font notre quotidien et sur lesquelles nous n'avons pas encore
communiqué.
Nous vous avons déjà parlé de certains projets en cours (Film-documentaire
sur les fêtes d'été des indiens Koguis, ateliers d'éducation à l'écologie)
ainsi que de notre projet à moyen-long terme de création d'un centre éducatif
et culturel. Ce dernier pourrait contribuer à la reconnaissance, la sauvegarde
et la transmission de la sagesse et de la culture des peuples premiers de la
Sierra Nevada de Santa Marta. Mais au de-là de ces axes principaux - le projet
de documentaire nous a beaucoup occupés ces derniers mois et nous entrons
actuellement en phase d'édition - LA SEMILLA se trouve impliquée dans d'autres
"petits projets" (aujourd'hui...) en fonction des nécessités et demandes qui se
présentent à nous. C'est d'eux que nous voulons vous parler aujourd'hui.
Préliminaire : Des indiens coupés du monde ?
S'il est vrai que les indiens de la Sierra et les Koguis en particulier sont
essentiellement autonomes au niveau alimentaire et culturel et ont délibérément
très peu d'échanges commerciaux et non commerciaux avec "notre monde", le mythe
de l'indien en blanc qui vit dans un paradis naturel coupé du monde est
inexact. Les échanges avec la "civilisation " sont une réalité, en particulier
pour les villages situés dans les parties basses de la Sierra parfois sur des
terres restituées par le Gouvernement récemment, qu'ils soient:
- échanges subis et violents : cela a été le cas des échanges
avec les groupes armés illégaux (guerillas, paramilitaires et trafiquants de
drogues) qui proliféraient jusqu'à une époque récente dans la Sierra Nevada.
Les peuples de la Sierra en ont subi un lourd tribu (violences physiques et
menaces, assassinats, viols). C'est aujourd'hui aussi le cas de nombreux
projets portés par des multinationales (extractions minières, barrages
hydroélectriques). Leur impact écologique souvent destructeur se confronte à la
relation organique des "gardiens de la Sierra" avec leur territoire. Les
violences indirectes qui résultent de ces derniers n'ont parfois rien à envier
aux premières. Il est à ce sujet remarquable de constater que les peuples de la
Sierra n'ont jamais pris les armes et ont toujours réagi à ces agressions de
manière pacifiste et non violente.
- échanges tolérés : il peut s'agir de l’État qui construit des
écoles ou des centres de santé, du "Bienestar familiar" (service de l’État
Colombien) qui distribue du lait en poudre ou des gâteaux aux enfants, ou même
des évangélistes qui distribuent des lecteurs MP3 solaires avec des textes
bibliques en langue koguie intégrés. Ce type d'échanges se situent en général
dans les villages situés sur les parties basses de la Sierra, les autres étant
difficiles d'accès. Ils sont tolérés par les indiens qui ne les approuvent pas
pour autant.

Appareil d'évangélisation solaire distribué par des évangélistes
- échanges souhaités : parce que les Koguis, Wiwas, Arhuacos et
Kankuamos ont certains besoins et nécessité qu'ils n'arrivent plus à couvrir et
aussi parce qu'ils souhaitent aujourd'hui "parler au monde" sur le respect de
la nature en particulier, ils ont aujourd'hui certains échanges commerciaux
(vente de mochillas ou de café par exemple) et culturels avec l'extérieur. Il
est à noter que même ce type d'échanges peut s'avérer nocif : on peut
parfois croiser dans les rues de Palomino ou Santa Marta un indien mendiant
pour s'acheter une bouteille d'alcool.
L'échange est donc un thème délicat mais il est inévitable et déjà en cours.
Nous souhaitons évidemment nous inscrire dans des échanges souhaités et "bons",
même si l'usage de ce terme est délicat. Pour y parvenir, au de-là de notre
discernement que nous voulons relié, nos projets sont consultés avec les
autorités locales et spirituelles des peuples de la Sierra (les mamas) et en
général émanent des Koguis eux-même. Nous travaillons actuellement à un
renforcement et un approfondissement de cette relation afin de l'intégrer dans
notre structure et dans nos processus de décision. Nous publierons bientôt un
article pour expliquer comment cela se traduit concrètement.
Recyclage dans le village
Dans nos voyages dans les villages Koguis de la Sierra Nevada, nous avons pu
confirmer que les villages Koguis des parties basses et même intermédiaires de
la Sierra produisent des déchets non biodégradables. S'il est pour nous une
évidence qu'un emballage plastique mettra jusqu'à 1000 ans pour se dégrader et
que des piles électriques peuvent polluer gravement les sols et l'eau, cela ne
l'est pas pour tous les indiens qui sont habitués à jeter leurs déchets
organiques qui se dégraderont naturellement. Nous continuons donc un travail
d'éducation et de ramassage de déchets qui avait déjà été initié il y a une
vingtaine d'années par Jimmy, aujourd'hui membre actif de LA SEMILLA. Au mois
d'août, nous avons ainsi réalisé, avec les enfants Koguis du village de
Yinkuamero et à l'aide d'une brouette qui leur avait été donnée par le Musée du
Caribe, un ramassage de déchets dans le village de Yinkuamero. Si la quantité
de déchets ramassés reste peu importante au regard de la date de la dernière
collecte (8 mois), un sujet plus préoccupant reste le nombre de piles qui
jonchaient le sol.


Elles proviennent de l'usage qui en est fait par les lampes torches. C'est,
à notre connaissance et dans ce village, le seul appareil électrique utilisant
des piles qui est aujourd'hui utilisé mais son usage est quotidien. Certaines
de ces piles ont été ramassées jusque dans des cultures qui bordaient le
village. Nous avons donc répété le message sur les dangers des piles
électriques avec la présence et l'approbation du mamá qui nous prêtera sa mule
pour descendre les sacs poubelles ramassés.
Las semillas (les graines...)
Le projet d'échanges de graines s'effectue en partenariat avec l'agronome
Yuli Pelaez qui est en train de créer le premier réseau d'échanges de graines
de la Sierra Nevada, avec les paysans locaux et les indiens. Ce projet
s'inscrit dans un contexte de perte de savoir sur ce sujet et d'une nouvelle
législation favorisant les graines certifiées vendues par des gros semenciers
comme Monsanto (souvent hybrides F1 - la plante produit des semences sans
rendement et oblige le paysan à racheter de nouvelles graines l'année suivante
- quand elles ne sont pas génétiquement modifiées). La Semilla est intervenue
comme intermédiaire pour permettre à Yuli Pelaez d'établir un partenariat avec
l'association française KOKOPELLI, qui dispose d'une des plus grandes (sinon la plus grande)
banque de semences libres et "bios" au monde (et donc non génétiquement
modifiées ni hybrides F1). Ce partenariat a permis au projet d'adhérer au
programme "Semences sans frontière" et de recevoir des semences libres,
adaptées au climat et à l'environnement d'ici.

Récemment un travail a été entamé par Yuli et La Semilla avec une famille
Koguie établie près de Minca. Des échanges de graines et de savoirs ont été
effectués en fonction des demandes de la famille Koguie.

Un suivi et un accompagnement sont réalisés pour voir ce qui est planté,
pousse et utilisé. Echanger, pour donner et recevoir...
Et le reste...
Le travail avec les indiens de la Sierra nous conduit aussi à les aider à
obtenir certaines choses qu'ils arrivent difficilement à obtenir sans notre
aide : du coton acheté sur le marché de Barranquilla pour le tissage des
habits et des mochillas de type "Sugame" pendant que parallèlement un processus
de récupération des cultures de coton a été initié pour retrouver autonomie et
indépendance, des plumes de certains oiseaux devenus rares dans la Sierra et
utilisées pour certaines danses sacrées (*), une démarche administrative, un
conseil ou aide juridique, etc. Ce sont aussi toutes ces choses qui font notre
quotidien.
(*) Nous évoquerons probablement ce sujet qui nous a beaucoup occupé, dans
une publication prochaine sur ce même blog...