Une parole et des images qui viennent de loin

En 2017 et 2018 nous avions enregistré des vidéos sur la culture, la sagesse, les traditions et les fêtes des Kogui, à leur demande. Un tournage qui allait dévoiler un trésor de paroles et d'images collectées grâce au travail de notre équipe et à la générosité de nombreux donateurs ayant soutenu le projet ! Ce travail avait deux objectifs: documenter et archiver la voix et la tradition d'un peuple millénaire - pour eux d'abord - mais aussi transmettre au monde une partie des messages et images portés par nos grands frères qui ont une "vision très claire de l'équilibre nécessaire à la vie sur terre"(*). Comme nous disait le mama Conchacala : "Je pense que notre petit frère (nous) peut-être saura garder notre connaissance ... et dans 10 ans ou plus ces paroles existeront encore." Après une longue pause, nous sommes donc heureux de vous annoncer que cinq vidéos ont déjà été produites et seront diffusées très prochainement, dont une sur ce billet !

Action et pause !

En juin 2017, nous assistions à la première fête de "UXA", dans le village Kogui de Zhinkuameldo ("Yinkuamero"), avec Jimmy. Un billet de ce blog raconte la "Pita", ses couleurs, ses sons et ses ambiances mais aussi la signification sacrée de cette fête: une offrande par le chant, la musique et la danse de la Sierra pour rétablir les déséquilibres du monde. Il raconte aussi la demande du mama Conchacala d'aider à réaliser des vidéos de cette fête et de ses paroles, pour la mémoire collective du peuple Kogui, à un moment où la jeune génération Koguie perd parfois l'intérêt et la connaissance de la culture traditionnelle. Et également pour transmettre des messages de prises de consciences vers "ses petits frères", nous.

La première partie nous avions pu la réaliser, laisser une copie des vidéos enregistrées à un représentant de la communauté et à l'organisation Kogui alliée Aldeñjina, et même effectuer plusieurs projections in-situ, dans le village Kogui de Zhinkuameldo, à 5-6 heures de marches du premier groupe électrogène !

La suite du processus aura été plus longue et difficile que prévue: manque de financement pour terminer le travail d'édition, complexité du projet qui implique notamment un long et subtil travail de traduction, puis divergences avec l'association Seineken qui avait réalisé le tournage. L´arrivée de la pandémie bloqua ensuite un temps nos voyages vers le territoire Kogui et finit de mettre en pause le projet. Et puis des questions fondamentales commençaient à se poser : Comment être au plus proche des processus de décision des Koguis à chaque étape du projet ? Quelles images et paroles pouvaient être diffusées à l'extérieur et quelles non ? Comment respecter leur culture et leur cosmovision sur des questions comme les droits d'auteurs par exemple ?

Nous étions face à une montagne, parfois découragés, et pourtant lors des processus de consultation et de travail spirituel avec le mama Conchacala, la réponse était chaque fois sans équivoque, confirmée parfois par le chant de l'oiseau Shikwa, qui est pour les Koguis, le messager du monde spirituel "Alduna" : "ce projet va bien se faire".

Mais quand ? La grande question, à laquelle le processus de consultation ne nous répondait jamais, mettant notre patience à l'épreuve du temps....

Respecter des processus de décision et une cosmovision qui viennent de loin

Les processus de décisions chez les Koguis sont longs, profonds et collectifs. Décider de mener à bien un projet nécessite un travail et une consultation spirituelle des mamas et saxas (autorités spirituelles masculines et féminines), de longues discussions collectives souvent nocturnes, et commencer à "aldunar" le projet, c'est à dire le projeter dans le monde spirituel "Alduna" avant de le faire émerger dans le monde concret. Pour pouvoir être en osmose avec eux, La Semilla s'est modifiée, transmutée au fil des années: modifications de nos statuts (**), intégrations de deux Koguis dans l'équipe dirigeante, consultations des projets en amont et tout le long, réunions avec les communautés, etc. Ces discussions terrains irriguaient nos réunions : de nombreuses réunions de l'association colombienne impulsées par Mathilde ainsi que celles de l'association française. De la fertilité de ce dialogue constant et circulant ont émergé des évènements et décisions cruciales :

  • la signature d'un accord avec l'association Seineken et le mama Conchacala en octobre 2021, reconnaissant que les droits et les décisions sur l'ensemble du matériel audio-visuel enregistré sont détenus par la communauté Koguie de Zhinkuameldo représentée para le mama Conchacala et non par les associations et personnes ayant réalisé le projet ;
  • la rencontre avec Nicolas, un professionnel de l'audio-visuel, qui nous a dit en début d'année 2023 qu'il serait d'accord pour réaliser l'édition des vidéos liées à ce projet. Mais, avant d'initier tout travail avec lui, une double consultation spirituelle puis une réunion préalable avec le mama Conchacala ont été organisées ;
  • l'intégration de licences libres, sans copyright, Creative Commons) sur des vidéos qui mentionnent cependant que "La connaissance qu'elle(s) contien(nent) est propriété collective de la communauté Kogui ....".

Un nouveau tissage des images

Nous nous sommes finalement orientés vers la production de petites vidéos de 3 à 4 minutes, chacune sur un thème donné, en fonction des sujets abordés par le mama dans ses interviews: la formation du mama dans les grottes de Magutama, la cosmovision Kogui en relation avec la fête, la fête elle-même, la transmission de la connaissance, etc. Ces vidéos se suffisent à elle-même et, pour autant, sont toutes connectées par des fils invisibles qui les unissent pour former un tout. Petit pas par petit pas, nous avançons.

Nous en avons déjà produit cinq et nous vous présentons ici la première sur l'histoire du mama Conchacala, un des derniers mamas formé pendant 25 ans depuis l'enfance jusqu'à l'âge de 30 ans, dont 12 ans de formation spirituelle dans l'obscurité des grottes de Magutama !

Les autres vidéos seront bientôt diffusées publiquement, également sous licence libre !

Et demain ?

En plus de ces vidéos, le matériel audio-visuel extraordinaire que nous avons enregistré devrait nous permettre de produire d'autres vidéos du même type. Si nous y arrivons, ce ne sera pas fini, car le mama Conchacala me disait récemment : "Nous devons enregistrer plus ! Nous devons enregistrer les chants !"

C'est donc un projet de longue haleine, dont nous sommes aujourd'hui très heureux de pouvoir présenter les premiers fruits. Que les donateurs qui ont permis à ce projet de voir le jour et toutes les personnes qui s'y sont investies soient encore remerciés !

Si vous souhaitez nous soutenir pour la suite ce beau projet, vous pouvez le faire ici.

(*) Référence à la phrase de Frédéric Lopez lors de l'émission "Rendez-vous en Terre Inconnue" : "C'est un peuple hors du commun qui a une relation avec la nature, avec l'espace et avec l'Univers. Depuis le début de Rendez-vous en terre inconnue, on n'a jamais rencontré un peuple qui a une vision aussi claire de l'équilibre nécessaire à la vie sur terre."

(**) intégration dans les statuts de notre association colombienne d'une phrase indiquant que "les projets et actions de l'association doivent se faire en cherchant l'accord des autorités traditionnelles des indiens de la Sierra Nevada''

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