Rendez-vous en Terre Koguie

Le 4 décembre dernier, la télévision française a présenté le programme « Rendez-vous en terre inconnue » qui emmène en général une personnalité dans une communauté "exotique". C’était pour l'animateur Frédéric Lopez le dernier programme d'une série commencée en 2004 et devenue un des programmes préférés des Français. Pour sa dernière, l'animateur a choisi d'emmener l'astronaute Thomas Pesquet dans le territoire des indiens Koguis, dans la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie, dans laquelle notre association travaille.

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Beaucoup de gens ont vu ce programme. Certaines personnes de notre entourage nous ont demandé : "Mais cette émission, elle montre vraiment les choses telles qu'elles sont, elle est fidèle à la réalité, qu'en penses-tu ?...". Comme il est vrai que c'est la première fois qu'une émission avec une audience aussi large parle des Koguis (parfois "Kogis" ou "Kaggabas"), nous donnons donc ici la parole à la chercheuse Carolina Ortiz Ricaurte, ethnolinguiste spécialiste en langue et culture Koguie depuis 1984 et à Stéphane Labarthe, président de notre association, basé en Colombie et qui va régulièrement leur rendre visite...

L'avis de Carolina Ortiz Ricaurte (chercheuse, Ethnolinguiste chez les Kogui depuis 1984 et membre de notre association)

Très intéressant, ce programme. Un véritable dialogue des cultures, où les Français essayaient de comprendre les Koguis, par le biais de cette famille qui les a reçus, et les Koguis essayaient de comprendre la culture française par le biais de ces personnalités. Dans ce dialogue culturel, les participants ont joué. Le verbe "jouer" ("jugar") en espagnol a comme sens premier celui de « s’amuser », et je le dis avec ce sens. Jouer en français a aussi le sens de "tenir un rôle", dans une comédie ou un drame, mais par extension aussi dans la comédie humaine. Je donne aussi ce sens français au verbe jouer. Et ils l’ont très bien fait, ils ont joué avec beaucoup d’habileté. Les Koguis se sont amusés à faire travailler très dur les Français, dans leur façon d’utiliser la force par exemple : ils les ont fait déplacer le pressoir à canne à sucre, travail que font normalement des bœufs, des ânes, des mules ou des chevaux ; et il semble que les Français ont exagéré leur rôle de stoïques, en l'acceptant. En tout cas, ils se sont avérés avoir une grande endurance, et c’est cela que mesurent les Koguis avec leurs épreuves. Cela faisait aussi partie du jeu. De leur côté, les Kogui ont eu beaucoup de difficultés à comprendre comment on peut voyager dans l’espace et voir la terre d’en haut. L’explication devant les caméras n’était pas non plus très claire. Les images que leur a montrées Thomas n’étaient pas très éloquentes pour eux. Cela faisait aussi partie du jeu.

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Les Koguis pratiquent une religion dans laquelle la fertilité-maternité est primordiale, et où le sens profond de la vie est de protéger la Terre-Mère. La Mère est omniprésente. En Occident, nous dirions que c’est une pensée « écologiste », mais elle va bien au-delà de l’écologie.

Je crois que le programme a été un succès pour les Français et les Koguis. Eux tous ont fait passer leur message. Le message que les Koguis nous ont envoyé est de prendre soin de la terre. Elle est notre mère. Elle est généreuse et nous donne la nourriture, et apaise notre soif. Elle nous donne refuge, nous obtenons d’elle les matériaux de construction pour nos maisons, et le coton pour nous habiller ; elle nous donne tout, et nous devons lui être reconnaissants et danser et chanter pour elle, et surtout, prendre soin d’elle, parce que si nous ne le faisons pas, nous allons provoquer sa fureur qui nous apportera beaucoup de maux (inondations, tempêtes, volcans, ouragans, tremblements de terre, etc.). La terre ne fait pas que donner, elle réclame également des soins. Nous devons le comprendre.

Merci à Frédéric Lopez pour son dernier « Rendez-vous en terre inconnue ». Je regrette que cela ait été son dernier programme, j’en ai vu certains et je les ai tous aimés. Merci également à Thomas Pesquet, qui s’est avéré avoir une grande tempérance. À eux deux, ils ont réussi quelque chose de très intéressant. Merci également à l’équipe, parce qu’elle nous a offert quelques belles images de la Sierra, du village Kogui de San Francisco et des chemins. Très bonne équipe technique.

Les impressions de Stéphane Labarthe (président de LA SEMILLA)

Globalement, j'ai été agréablement surpris et même par moments ému de ce qu'une émission à grande écoute réussisse dialogue et transmission d'une culture aussi lointaine, complexe et profonde que celle des Koguis. L'attitude humble et respectueuse de Frédéric Lopez et Thomas Pesquet y est probablement pour beaucoup. Elle est d'ailleurs annoncée dès le début du programme par ces propos de l'animateur : "C'est un peuple hors du commun qui a une relation avec la nature, avec l'espace et avec l'Univers. Depuis le début de Rendez-vous en terre inconnue, on n'a jamais rencontré un peuple qui a une vision aussi claire de l'équilibre nécessaire à la vie sur terre.".

Alors certes, il y a des scènes qui sont un peu jouées comme le dit Carolina, et parfois des approximations dans la difficile compréhension de la vision du Monde qu'ont les Koguis. Par exemple, la notion de Mère ("Hava" en Kogui) et de "Père" ("Hate"). Selon ma compréhension, pour les Koguis, toute chose a une origine spirituelle, qui se décline en une partie féminine, la Mère, et une partie masculine le Père, en équilibre. Ainsi, chaque chose a une Mère et un Père et il existe une Mère Universelle ("Seineken") et un Père Universel ("Seyankua"). Cette vision se retrouve par exemple dans une des vidéos que nous avons mis en ligne où le mamá Kogui Juan Conchacala explique : "Comment pouvons-nous imaginer vivre dans un monde sans eau ? Nous autres, savons encore comment payer le Père et la Mère de l'eau. Nous faisons des paiements. Ces paiements ne sont pas avec de l'argent. Nous payons la Mère et le Père sur un plan spirituel.". Notre société occidentale, en revanche, a perdu beaucoup de cette part "féminine", qu'on trouve encore dans les cultures orientales (le Yin des Chinois ou le prakriti des hindous) . Cela se retrouve depuis ce qu'il reste de nos conceptions religieuses avec un "Dieu le Père" masculinisé - alors que la Genèse évoque pourtant un Dieu "mâle et femelle" - jusqu'à notre architecture qui privilégie la ligne droite et les angles droits au cercle et à la courbe. Et il faut reconnaître que l'égalitarisme des sexes et nos tentatives de parité restent une vaste farce dans une société où l'immense majorité de nos dirigeants, qu'ils soient politiques, religieux, économiques et financiers restent des hommes conseillés par des hommes et où le peu de femmes qui sont présentes ont parfois renié leur féminité pour devenir des Margareth Tatcher ou des Angela Merkel... Alors on me dira que cette émission montre peu le monde des femmes chez les Koguis et leur place réelle, et c'est vrai. Elle montre peu le tissage des mochilas, ne montre pas la "nuhée" des femmes ou le rôle important des "sagas" (autorités spirituelles féminines ; littéralement "mama" signifie "soleil" et "saga" signifie "lune") dans les processus de décision. C'est normal car nos deux visiteurs sont des hommes et il leur était donc plus difficile d'accéder à cette partie de la culture Koguie.

Mais une émission de ce type ne pouvait pas ni ne devait pas tout montrer. L'important est que les rapports humains établis petit à petit par Thomas Pesquet et Frédéric Lopez, les images, les paroles des Koguis aient finalement permis de faire passer beaucoup de choses. Un autre rapport au temps, des longues conversations dans la nuit qui recherchent un dialogue véritable et profond et un accord unanime, une relation organique et équilibrée avec une nature encore préservée, une force intérieure qui a permis aux Koguis de traverser une histoire récente extrêmement difficile, etc. Et au final, une nécessité commune exprimée dans ce moment de dialogue après que Thomas Pesquet ait montré les photos de son voyage dans l'espace : protéger et se faire responsable de notre Planète sur laquelle nous vivons tous...

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Merci donc à Thomas Pesquet, Frédéric Lopez et son équipe, pour ce travail.

Pour celles/eux qui sont intéressé(e)s le programme est visible ici.

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Commentaires

1. Le lundi 17 décembre 2018, 17:08 par YOLAINE

Merci pour votre commentaire qui répond à certaines des questions que je m'étais posées sur la réalité du reportage tel que nous l'avons vu; j'ai découvert ce peuple à travers votre association et par une personne de ma famille qui y a passé quelques jours
.Aussi c'est avec grand plaisir que j'ai suivi l'émission de Frédéric Lopez et je suis d'autant plus convaincue qu'il faut protéger les Koguis de la "civilisation"

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