Colombie - France - Colombie : l'ordre et la liberté

Enfin....! Malgré les États d'urgence sanitaire et autres mesures contraignantes les portes se sont entrouvertes et nous ont laissé passer pour un voyage aller-retour France-Colombie, le premier depuis deux ans. Un voyage qui pose des questions sur les libertés individuelles et collectives mais aussi sur l'autodétermination des peuples premiers.

Arrivée en France

"Libertad y orden" est la devise nationale colombienne, pendant du célèbre "Liberté, égalité, fraternité" qui a longtemps donné à la France l'image d'un pays libre et humaniste. Pourtant lorsque j'entreprends ce voyage, je comprends vite que ma liberté constitutionnelle d'aller et venir va être mise à mal, bien au-delà des formalités de voyage extrêmement complexes et des 17 documents et formulaires qu'il me faudra emporter pour sortir de Colombie, prendre l'avion et entrer en France avec mon fils. Vingt personnes ne pourront pas embarquer dans l'avion et perdront leur voyage, me racontera un stewart d'Air France. Pourtant ce n'est que le début. À l'arrivée à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, la première chose que nous voyons est une double file : une pour les personnes vaccinées et une autre pour les non vaccinées qui se verront soumettre dans un premier temps à divers questionnaires et à un test antigénique. Ces mesures sont liées au fait que la Colombie est un "pays rouge" au moment du voyage. Pour pouvoir prendre notre vol Air France, nous avions pourtant déjà dû présenter un test PCR négatif de moins de 48 heures.

arrivee-aeroport.jpeg, août 2021

Dans la salle d'attente pour les résultats de ce second test, l'ambiance est un peu surréaliste : un climat pesant qui laisse sentir l'anxiété des personnes qui attendent leur sésame et deux personnes équipées de mégaphone annonçant les numéros des personnes appelées pour aller chercher leur résultat. Mon fils de 11 ans est appelé en premier par un des mégaphones mais on ne me laisse pas l'accompagner, tout comme je n'avais pas pu l'accompagner pour son prélèvement nasal. Heureusement nos deux tests antigéniques viennent confirmer les tests PCR effectués 48 heures plus tôt : nous n'avons pas le covid et ne sommes donc à priori pas dangereux pour la sécurité nationale. Cependant, nous allons quand même être soumis tous les deux, comme les autres de notre groupe à un arrêté préfectoral nominatif et individuel de mise en quarantaine de 10 jours, remis par des personnes de la police aux frontières. Ce mélange étrange entre personnels de santé et police aux frontières est lui aussi dystopique. Même mon fils de 11 ans est choqué: "Mais papa - me dit-il - la liberté c'est pourtant le premier mot de la devise française... Le premier, pas le deuxième !" .

arrêté 1.png, août 2021

Très vite nous nous apercevrons que cet arrêté n'est pas une simple formalité puisque nous serons contacté par téléphone dès le lendemain par la cellule confinement de la Préfecture de notre lieu de résidence et que les gendarmes viendront nous contrôler à partir du deuxième jour de notre quarantaine quotidiennement, sur place. Nous devrons aussi nous soumettre à un troisième test (PCR) pour pouvoir sortir de cette assignation à domicile bien surveillée.

Si cette arrivée dans le pays des libertés, notre pays, a été pour nous un choc, la chaleur et le temps partagé avec nos proches, les belles rencontres que nous ferons, sauront nous redonner du baume au cœur, sans pour autant nous enlever la préoccupation et la tristesse de constater que le choix qui a été fait par la France plus que dans beaucoup d'autres pays est celui de mesures autoritaires justifiées par une peur savamment entretenue depuis des mois. Dans un précédent billet - Regarder au loin - nous évoquions déjà les conséquences désastreuses à court, moyen et long terme de ce choix et la mise en garde de nos frères indiens à ce sujet.

Graines et libertés

Durant notre voyage en France, qui passera par Paris, mon Sud-Ouest natal mais aussi l'Ariège, nous aurons l'occasion de rendre visite à l'association Kokoppelli, gardienne de la plus grande banque de semences libres, biologiques et reproductibles d'Europe, également partenaire de La Semilla dans le cadre du programme "Semences sans frontières" (voir billet précédent "La Semilla chez Kokopelli"). Ce partenariat sera renouvelé et je serai même interviewé sur notre projet mais aussi - plus étonnamment - sur mon parcours du combattant pour pouvoir entrer en France.

Kokopelli.jpeg, août 2021

L'association est en effet très préoccupée par les atteintes aux libertés en cours et à venir avec notamment la mise en œuvre du passe sanitaire qui marginalisera les personnes non vaccinées et créera un fichage généralisé de toute la population. C'est la raison pour laquelle ils ont, après longue réflexion, décidé de prendre position sur un sujet qui va au-delà de leur cœur de métier en publiant un Manifeste pour une insurrection fertile. Je rencontrerai d'autres personnes du milieu associatif également très préoccupées par la ségrégation à venir par le passe sanitaire. Une amie a même décidé de quitter la France à cause de cela. Il est vrai que les mesures qui sont mises en œuvre pour les personnes qui n'ont pas le passe sanitaire n'ont rien à envier à celles imposées aux noirs des États-Unis avant Martin Luther King, à ceux d'Afrique du Sud ou même aux juifs dans les débuts de la seconde guerre mondiale. Je sais que cette comparaison en choquera beaucoup et c'est pour cela que je parle bien des débuts de cette période sombre seulement. Ce qui m'a amené à cette idée qui peut sembler exagérée c'est lorsque je suis retombé, il y a peu, sur ce passage du Journal d'Anne Franck. La ressemblance avec ce qui est déjà là ou pourrait venir m'est apparue alors frappante.

A partir de mai 1940, c’en était fini du bon temps, d’abord la guerre, la capitulation, l’entrée des Allemands, et nos misères, à nous les juifs, ont commencé. Les lois antijuives se sont succédé sans interruption et notre liberté de mouvement fut de plus en plus restreinte. Les juifs doivent porter l’étoile jaune ; les juifs doivent rendre leurs vélos, les juifs n’ont pas le droit de prendre le tram ; les juifs n’ont pas le droit de circuler en autobus, ni même dans une voiture particulière ; les juifs ne peuvent faire leurs courses que de trois heures à cinq heures, les juifs ne peuvent aller que chez un coiffeur juif ; les juifs n’ont pas le droit de sortir dans la rue de huit heures du soir à six heures du matin ; les juifs n’ont pas le droit de fréquenter les théâtres, les cinémas et autres lieux de divertissement ; les juifs n’ont pas le droit d’aller à la piscine, ou de jouer au tennis, au hockey ou à d’autres sports ; les juifs n’ont pas le droit de faire de l’aviron ; les juifs ne peuvent pratiquer aucune sorte de sport en public. Les juifs n’ont plus le droit de se tenir dans un jardin chez eux ou chez des amis après huit heures du soir ; les juifs n’ont pas le droit d’entrer chez des chrétiens ; les juifs doivent fréquenter des écoles juives, et ainsi de suite, voilà comment nous vivotions et il nous était interdit de faire ceci ou cela. Jacques me disait toujours : "Je n’ose plus rien faire, j’ai peur que ce soit interdit."

Si on prend un peu de distance, cela donne le vertige et on se demande alors comment nous en sommes arrivés là et surtout jusqu'où nous voulons aller ou ne pas aller. C'est à nous de décider, nous sommes en démocratie.... C'est important car il y a en outre une nouvelle composante qui n'existait pas dans ces périodes sombres de l'histoire : le fichage numérique et ses systèmes sous-jacents. En France c'est à la CNIL que revient d'éviter les dérives liberticides liées aux systèmes informatiques, c'est du moins ce qui est écrit dans la loi et sur le verso de la médaille qui m'a été remise il y a presque 6 ans, lorsque j'ai quitté cette institution pour partir en Colombie :

medaille-CNIL-verso.jpeg, août 2021

Alors pourquoi tant de tiédeur de la part du gardien des libertés numériques face à la gravité de ce qui se passe actuellement ? Peut-être parce-que l'autorité administrative indépendante a cessé d'être réellement indépendante lorsque son/sa président/e a cessé d'être élue par un collège dont la pluralité (députés, sénateurs, membres du conseil d'État, de la Cour de Cassation, etc.) faisait la force. Marie-Laure Denis est en effet la première présidente dans l'histoire de la CNIL à ne pas avoir été élue mais nommée par le Président de la République, par décret. On peut aussi s'interroger sur le rôle et souhaiter un retour au courage des autres gardiens de notre démocratie: le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État notamment.

Toutes ces réflexions sur la liberté semblent nous éloigner de notre sujet habituel : les peuples premiers de la Sierra Nevada et les Koguis en particulier. En partie seulement...

L'autodétermination des peuples premiers

La possibilité de pouvoir vivre comme ils le souhaitent et notamment de pouvoir rester sur leurs terres, parler leur langue, utiliser leurs habits traditionnels, leur médecine traditionnelle, se nourrir en semant leurs graines, éduquer leurs enfants comme ils le souhaitent, etc. font partie des libertés fondamentales pour les peuples premiers. C'est pour cela qu'en Colombie, la constitution de 1991 leur reconnaît une série de droits associés et leur donne une autonomie partielle à l'intérieur des "resguardos indígenas". Cette liberté d'autodétermination sera-t-elle abolie - dans le domaine de la santé en particulier - pour imposer aux indiens notre manière de faire ? À notre connaissance cela n'a pas encore été le cas dans la Sierra Nevada de Santa Marta et nous espérons que cette liberté puisse être préservée encore.... Les indiens de la Sierra ont une connaissance médicinale traditionnelle, des plantes en particulier, absolument impressionnante. Je me souviens d'un échange entre un médecin traditionnel arhuaco et un ami diplômé en ostéopathie et en médecine chinoise où ce dernier était frappé par les similitudes entre les deux approches pourtant tellement éloignées géographiquement. Le "mama" Juan Conchacala et son épouse, la "saga" Teresa Moscote - que nous connaissons bien - ont ainsi suivi une formation approfondie incluant la médecine des plantes, les massages et manipulations sur le corps ainsi que les aspects psychiques, énergétiques et spirituels de la santé. Une formation de 25 ans pour Juan, complétée auprès d'un médecin indien d'une autre ethnie (Wayú).

Teresa y Juan.jpg, août 2021

J'ai moi même constaté sur un cas grave, un enfant piqué sévèrement au pied par un scorpion venimeux et qui hurlait de douleur, comment le mama, avec ses connaissances et sa pratique traditionnelle l'a remis d'aplomb en moins de deux. C'était impressionnant, même ses parents avaient du mal à le croire et lui interdisaient de retourner jouer quand lui affirmait : "Mais non, je me sens bien maintenant....". Le mama m'avait simplement dit : "Ce type de choses, je sais les faire...".

Alors pourquoi nos démocraties auraient l'orgueil non assumé d'imposer une seule manière de faire, en termes de santé ou sur d'autres sujets ? La liberté c'est aussi la liberté de choisir les graines que l'on veut semer, la nourriture que l'on veut manger et la manière dont on souhaite se soigner, à titre préventif ou curatif. Respecter cette liberté c'est respecter les individus et les peuples.

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